Dans une tribune collective au « Monde », des édiles de grandes villes s’alarment de la pénurie de moyens mis à disposition par l’Etat pour accueillir les migrants.
Tribune de Jean-Paul Bret, maire (PS) de Villeurbanne, commune du Rhône de 147 000 habitants
dans Le Monde du jeudi 22 septembre 2016
Villeurbanne accueille déjà des migrants
Auvergne-Rhône-Alpes, notre grande région, qui recense 8 millions d’habitants, a les moyens d’accueillir 1 784 migrants. N’en déplaise à l’affligeante polémique lancée par Laurent Wauquiez
Par JEAN-PAUL BRET
A Villeurbanne, il y a un an, nous avons accueilli 50 réfugiés, venant de Calais. Je leur avais moi-même souhaité la bienvenue, avec Michel Delpuech, préfet de Rhône-Alpes, le soir de leur arrivée. Depuis, tous sont entrés dans un parcours d’asile grâce à l’action de l’Etat et des associations spécialisées.
A l’époque, notre choix de participer à cette première initiative de répartition des migrants sur le territoire national avait répondu à deux motivations. D’une part, nous entendions nous inscrire dans la longue tradition d’hospitalité de notre ville. Depuis la fin du XIXe siècle, elle s’est développée avec l’arrivée successive de populations étrangères, contraintes à l’exil par la misère et l’oppression. D’autre part, dans un contexte international de migration inégalé depuis 1945, il nous était apparu naturel de mettre cette expérience au service de ceux qui souffrent, avec conviction et sans angélisme.
ABSURDITÉ
En un an, grâce au travail des professionnels et des bénévoles, tout s’est bien passé. Aussi, nous répondrons à la nouvelle sollicitation de l’Etat et nous contribuerons à venir à bout de ce désastre humanitaire qu’est la « jungle » de Calais. Neuf mille personnes doivent aujourd’hui trouver un toit quelque part en France. Notre pays compte 36 000 communes. En Auvergne-Rhône-Alpes, qui recense 8 millions d’habitants, le plan concerne 1 784 migrants. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’effort de solidarité à partager est loin d’être insurmontable. C’est pourquoi la polémique engagée par Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, est affligeante. Inciter les maires ruraux à la révolte, renvoyer l’effort sur les maires « des villes de gauche », politiser un débat qui a d’abord besoin de responsabilité, n’est pas ce que l’on attend du président de la deuxième région française. A l’écouter, il y aurait donc deux France. Celle des villes empreintes de fraternité. Celle des campagnes ergotant médiocrement sur les principes de la République. Quelle absurdité !
Sur le grand territoire auvergnat et rhônalpin, y compris dans les campagnes, les pratiques d’accueil ne sont pas propres à Villeurbanne. Le village du Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire, s’est, pendant la Seconde guerre mondiale, grandement illustré en donnant refuge à des familles et à des enfants juifs que bien peu voulaient secourir. Ces réfugiés n’étaient pas tous français. Mais tous étaient persécutés. Par son comportement exemplaire, ce village du Vivarais-Lignon a reçu la distinction, unique en France pour une commune, de Juste parmi les nations. Dans ses discours, Laurent Wauquiez, député de la circonscription, fils de la maire du village, a souvent recouru à cette mémoire. Je regrette que ce qui le séduit, quand il est question d’histoire, imprègne si peu son analyse de l’actualité.
Mais le plus grave dans cet emportement extravagant, c’est la confusion sémantique que ce président de région introduit dans le débat, confondant délibérément immigrés, réfugiés et clandestins. Cet amalgame, qui entretient la peur de l’autre, a quelque chose de totalement insensé et mensonger, d’hystérique même, au moment où notre pays a besoin de raison et d’apaisement.